Interview - Noctule. H - 2025

Emmanuel Bonnet, aka Noctule. H est un vétéran des musiques sombres et indépendantes. Il a officié dans un paquet de projets différents et se trouve être un des piliers de l'underground de Metz. Nous communiquons ensemble depuis maintenant bien des années et c'est toujours un plaisir pour votre serviteur de découvrir les nouveaux méfaits de ce musicien acharné et endurant.

Jeu D'Ombre est heureux de vous proposer ce jour un entretien complet avec le big guy lui-même.

Propos recueillis par Xzvrey début 2025

1/ Salut Manu ! Cela fait un petit moment qu’on ne s’était pas retrouvés via un média haha. Je suis content de t’interviewer figures-toi car j’ai un bon paquet de questions à te poser. Mais premièrement : comment vas-tu ? Qu’est-ce que tu deviens ces derniers temps ?

Salut à toi. Je suis également content de te retrouver via Jeu d’Ombre, que je lis souvent. Je prends régulièrement le train, les week-ends, et j’aime bien lire les interviews ou les chroniques du webzine durant mes déplacements. Alors c’est vraiment sympa d’y être invité. Pour répondre à ta question, eh bien, ça va plutôt pas mal pour moi en ce moment. Je travaille sur un paquet de projets vraiment intéressants en BD. Projets qui me prennent beaucoup de temps et d’énergie, mais qui sont vraiment gratifiants. Et je me suis enfin remis sérieusement à la musique depuis un peu plus d’une année avec la rencontre d’O. Scar, le nouveau chanteur/guitariste de Logical Tears (rebaptisé Logical Tears 2.0), ce qui me prend tout le reste de mon temps libre. Mais tu connais ça toi aussi…

2/ Bon allez, on ne va pas esquiver la question classique : peux-tu faire un résumé de ta carrière musicale ? Tu as été actif dans un paquet de projets entre Noctule Sorix, Logical Tears, Virus 37, Dorcel… Avec le recul, quel est ton meilleur souvenir de ta carrière musicale ?

Effectivement, j’ai démarré Noctule Sorix vers 1995 si je me souviens bien. C’est la formation qui a duré le plus longtemps, pratiquement 27 ans et avec laquelle j’ai réalisé 4 albums, trois EP et une floppée de collaborations. Paradoxalement, c’est peut-être le groupe avec qui j’ai fait le moins de concerts. Mais ça reste une grosse partie de ma vie artistique et probablement la formation dans laquelle j’ai mis le plus de moi-même.

Aux alentours de 2006 en parallèle à Noctule Sorix, j’ai intégré le groupe Dorcel, à Metz, comme bassiste. Je suis resté avec eux un peu plus de trois ans. Durant ces trois années nous avons pratiquement fait un concert toutes les deux ou trois semaines. Ça a été beaucoup de déconnades et de rencontres en tous genres. Ils n’ont cependant sorti qu’un seul EP durant cette période. Leurs priorités étaient plus axées sur le live que sur la composition ou l’enregistrement en studio. J’en garde un excellent souvenir et je suis encore ami et en contacts réguliers avec les membres du groupe.

Entre 2012 et 2014, Zok., le chanteur de Noctule Sorix, a décidé de faire une pose sur ses activités musicales et nous avons mis le groupe à l’arrêt. J’en ai profité pour monter la formation Logical Tears avec Phil Von Trace, le guitariste de Dorcel, qui avait également quitté le groupe un peu avant moi. Nous avons réalisé 4 EP jusqu’à ce jour avec différents changements de line up.

Et un futur album sous le nom Logical Tears 2.0 est prévu d’ici la fin de l’année 2025.

Trouver un souvenir qui se détache des autres est difficile, j’ai adoré pratiquement tout ce que j’ai fait musicalement. Si je dois en citer un en particulier, c’est peut-être la première partie de Faith and the Muse à Strasbourg, réalisée avec Noctule Sorix en 2003. William Faith est venu nous voir à la fin des concerts pour nous dire qu’il avait vraiment bien aimé notre prestation. C’était une super reconnaissance pour nous.

3/ Nous allons rester sur la musique stricto sensu pour le moment mais nous avons bien d’autres sujets à aborder. D’une manière générale, quels sont tes albums de référence en matière de musique au sens large ?

Aaah… Vaste question ! Disintegration et 17 Seconds de The Cure restent indétrônables au sommet de mon Top 10. Pour moi, ce sont des chefs-d’œuvre intemporels. Cela étant, je dois t’avouer que j’écoute et consomme énormément de musique dans des styles très variés. Je dois en écouter au minimum 4 à 5 heures par jour. J’ai la chance de pouvoir bosser en musique, alors mes goûts et préférences évoluent régulièrement en fonction de mes découvertes et humeurs. Je cherche toujours de nouvelles choses à écouter. Mais je peux te citer mes « classiques » à moi, ceux qui résistent à l’usure du temps : Unknown Pleasures de Joy Division, Movement de New Order, Tyrany For You de Front 242, Grenade de The Cassandra Complex, Neverland de The Mission, Bossanova des Pixies, Modern Life Is Rubbish de Blur, Dog Man Star de Suede, Contact de Jad Wio, Works de Trisomie 21, Fragile de Nine Inch Nails, Antichrist Superstar de Marilyn Manson, Garbage de Garbage, Neighborhoods de Blink 182, Love d’Angels and Airwaves, ou plus récemment Interplay de Ride qui a fait un retour énorme avec cet album, etc. Mais c’est tellement vaste et il y a tellement de super groupes et d’albums dans des styles différents qu’en faire une liste est impossible pour moi…

4/ Je me souviens très bien de notre premier contact. J’animais encore l’émission Les Ondes de la Crypte à l’époque et j’avais reçu un e-mail de ta part pour que je passe quelques morceaux de l’album « 4.0 ». J’avais vraiment accroché je me souviens. Est-ce que tu gardes encore quelques souvenirs de ce premier échange ?

Oui très bien… À l’époque j’écoutais pas mal de radios et podcasts sur Internet, toujours dans cette démarche de découverte musicale. J’avais bien accroché avec ton émission, alors je t’avais contacté, me disant que nous n’étions peut-être pas si éloignés musicalement. Maintenant que l’émission n’existe plus je te lis régulièrement dans le train. C’est surement très con, mais à notre niveau de popularité (donc quasiment nul, rires…) si tu ne contactes pas par toi-même les webzines où animateurs radio, bah il y a vraiment très peu de chance qu’ils viennent à toi. Et le courant est quand même bien passé entre nous je trouve. Mais c’est normal, nous sommes tous les deux membres de ce très petit club ultra select des « bassistes gentlemen » (rires…).

5/ L’album 4.0 de Noctule Sorix est selon moi un disque très abouti, comme si toi et tes acolytes étaient allés au bout de quelque chose. Il y a vraiment une dimension émotionnelle forte dans les compositions j’ai l’impression. Je suis, encore aujourd’hui, admiratif à l’écoute de la chanson « Breaking Bound ». Peux-tu nous parler un peu de ce titre en particulier s’il te plaît ?

Merci pour le compliment. Ça fait toujours plaisir de savoir qu’un morceau ou un album a plu à quelqu’un. J’ai toujours fait de la musique avant tout pour moi-même sans réellement me préoccuper de l’impact ou du ressenti que les gens peuvent en tirer. Ça n’a pas toujours été profitable à l’évolution de mes différents groupes et à leur popularité, mais au moins on peut dire que ma démarche a toujours été sincère et personnelle. La musique m’a permis d’exorciser et régler pas mal de problèmes existentiels au fil des années. Nous avions mis beaucoup de temps à finaliser cet album à l’époque, Zok. étant déjà plus ou moins passé à autre chose, sans compter que nos goûts musicaux avaient pris des chemins différents. Alors je crois qu’on a tous mis pas mal de nous-même dans cet album en se disant qu’il serait probablement le dernier du groupe. Autant qu’il soit réussi ! Mais malheureusement, il n’a pas connu la reconnaissance qu’il aurait peut-être mérité. Il est un peu sorti dans l’anonymat et l’indifférence des fanzines / webzines et émissions de radio FM. Ça a aussi très certainement contribué à la mise en sommeil du groupe, qui devenait inévitable pour nous.

Breaking Bound est effectivement l’un des meilleurs morceaux du groupe. Je ne sais plus trop comment il est né. C’est souvent moi qui apportais une base rythmique lorsque nous composions, et Zok. y ajoutait ses guitares et ses paroles. J’avais également demandé à Phil Von Trace d’inclure des guitares dans le style de The Cure sur l’ensemble de l’album pour lui donner un côté plus aérien. C’est toujours un peu magique et mystérieux la phase de composition. Quand tu démarres l’écriture d’un morceau tu ne sais jamais vraiment à quoi il va aboutir au final. Ça dépend de tellement de facteurs… Mais oui je crois qu’on ne l’a pas trop loupé celui-là.

6/ Depuis ce très bon album, nous n’avons pas eu le droit à un nouvel enregistrement de Noctule Sorix. Est-ce que vous continuez ce projet ? Souhaitez-vous refaire des concerts ?

Zok. n’a pas poursuivi dans la musique. Il s’est tourné vers l’écriture et il s’éclate bien plus en développant ses propres histoires en solo. C’était la voix de Noctule Sorix et je ne me vois pas refaire un album Noctule Sorix sans lui. Toutefois depuis novembre dernier j’ai repris contact avec Dieter. G (le guitariste emblématique des albums Zygènes de la Filipendule et Chrisalid Child de Noctule Sorix) suite à la sortie de mon livre. Nous avons commencé à bosser sur de nouveaux morceaux. L’idée c’est de les finaliser et de les soumettre à Zok. afin qu’il chante dessus, puis en faire un nouvel EP Noctule Sorix. Mais si ça se concrétise, ça se fera dans un temps long. Le plus dur sera de convaincre Zok. de rempiler pour un dernier tour de piste. Et puis, il faut que le résultat soit à la hauteur. Il n’y aurait rien de pire que de revenir avec un truc très moyen.

Pour les concerts, non je ne pense pas qu’on refasse des concerts sous le nom Noctule Sorix avant très très longtemps. Mais ça n’empêche pas les gens qui aiment le groupe de venir nous voir jouer avec Logical Tears 2.0. Nous reprenons pas mal de morceaux de Noctule Sorix en live (rires…).

7/ Justement, en parallèle, tu as donc fondé le projet Logical Tears, plus orienté Cold/Darkwave avec une bonne base rock quand même (surtout sur l’album Black Hole je trouve). C’est un projet très intéressant et riche musicalement. Est-ce en quelque sorte le résultat de tout ton parcours musical ? As-tu des sorties prévues dans les années à venir ?

Sans faire un très mauvais jeu de mot, Logical Tears est la suite « logique » de Noctule Sorix. Pour moi c’est la même démarche artistique. J’ai simplement évolué musicalement avec l’écoute de nouveaux groupes et donc de nouvelles influences. Si j’avais poursuivi sous le nom Noctule Sorix, j’aurais probablement composé les mêmes morceaux que ceux de Logical Tears. Durant la période Covid, j’ai découvert le groupe Angels and Airwaves de Tom Delonge (guitariste chanteur de Blink 182) et ça m’a vraiment mis une bonne grosse claque. Ça faisait longtemps qu’un groupe ne m’avait pas autant enthousiasmé. Ça s’est retranscrit dans ma propre musique, qui est peut-être un peu moins gothique qu’auparavant. Et puis j’ai solutionné pas mal de soucis existentiels au fil des années alors je me suis permis d’écrire des morceaux un peu plus joyeux et optimistes.

Il est effectivement prévu qu’on enregistre un nouvel album avec Logical Tears 2.0 cette année. Nos nouvelles compositions sont vraiment très réussies et O. Scar, mon nouveau complice musical (chant et guitare), a apporté énormément de son propre univers, qui est très cinématographique et enjoué. Le mariage de nos influences donne quelque chose de vraiment intéressant et ultra motivant. Depuis qu’il a intégré le groupe, il m’a redonné l’envie de me surpasser musicalement pour aller vers quelque chose dont je puisse être fier. Ce qui n’était plus trop le cas ces dernières années avec les membres précédents de Logical Tears, qui se contentaient souvent de faire de la figuration passive dans le groupe.

8/ La questions suivante sera double. Premièrement, as-tu prévu de refaire du live avec l’un ou l’autre de tes projets ? Ensuite, quel est ton meilleur souvenir de concert ? Peux-tu nous raconter l’anecdote de live qui te rend le plus heureux quand tu y repenses ?

Oui les concerts sont à l’ordre du jour. Depuis novembre 2024 nous avons même déjà fait trois concerts et un passage radio live avec O. Scar et Logical Tears 2.0. Et là nous sommes en phase de démarchage pour 2025. Nous devrions rejouer le premier trimestre 2025 avec les groupes Electric Press Kit et Lüderitz dans le Grand Est, si tout se passe comme prévu. Après on verra bien, mais oui l’aspect live est devenu beaucoup plus important pour nous depuis l’arrivée d’O. Scar dans le groupe.

En ce qui concerne une anecdote live qui me rendrait heureux, je ne sais pas trop. J’ai toujours pris le passage live comme un exercice un peu difficile. Je ne suis pas toujours super à l’aise sur scène devant un public, même si ça s’améliore avec l’âge. Alors trouver un souvenir heureux, c’est compliqué, mais je sais qu’à l’époque où je jouais avec les membres de Dorcel, il se passait énormément de conneries lors des concerts. On ne savait jamais trop comment ça allait finir. C’était souvent bien arrosé et ça pouvait complétement partir en sucette. En anecdote amusante, on nous avait fait jouer dans un bar à Epinal dans les Vosges. Comme le bar était minuscule le groupe avait dû jouer dans deux pièces différentes. Les deux guitaristes avec les amplis devant le public et le bassiste et le batteur dans un petit réduit juste derrière la scène avec pour seul vue une lucarne au niveau du batteur qui donnait sur les guitaristes et une porte donnant sur les WC et les urinoirs du côté du bassiste. Etant à la basse et dans cette toute petite pièce avec un batteur qui frappait bien, je n’entendais et ne voyais pas du tout les guitaristes. Donc, quelle ne fut pas ma surprise de voir un des guitaristes se soulager à un des urinoirs durant un morceau. Il avait abandonné l’avant de la scène en plein morceau pour aller faire son affaire et il me faisait des grands signes depuis les WC pour se foutre de moi. Avec eux ça pouvait vraiment partir dans du sublime comme dans du grand n’importe quoi.

9/ Peux-tu nous parler rapidement des projets Virus 37 et Dorcel ? Le premier a sorti un EP en 2003 et le second deux EP dans les années 2000. Ce furent deux projets de courte durée malheureusement. Peux-tu nous en dire plus sur ces deux formations s’il te plaît ?

Virus 37 était le projet musical de 20100 (ça se prononce Vincent) et YAN, qui étaient deux amis de Zok. et moi. Ils faisaient une sorte d’électro pop minimaliste sur leurs ordinateurs. Ils n’étaient pas du tout musiciens, dans le sens où ils n’ont jamais joué d’un instrument ou étudié la musique, mais ils s’éclataient à composer des morceaux très électro avec des logiciels comme Reason ou Acid. J’ai décidé de produire leur premier EP et Zok. s’est proposé au chant, vu qu’aucun des deux n’avait d’expérience dans le domaine. 20100 a quand même écrit les paroles et enregistré les secondes voix sur l’EP. Il s’en est très bien sorti pour une première expérience. Malheureusement 20100 est décédé quelque temps plus tard et comme il était le fondateur et l’âme du groupe, le projet n’a pas perduré. Sa perte à été un coup très dur à encaisser pour Zok. et pour moi-même, c’était vraiment notre frère de cœur et on a fait énormément de fêtes et conneries ensemble.

Pour Dorcel, détrompe-toi ! Le groupe est resté actif jusqu’en 2024. Ils ont fait énormément de concerts essentiellement dans la région Grand Est et à Paris ces dix dernières années. Mais comme je l’ai déjà dit, leur centre d’intérêt est plus porté sur le live que sur les enregistrements studio. Je ne sais pas trop où ils en sont en ce moment. Les relations dans le groupe sont très conflictuelles, ils s’adorent mais n’hésitent pas à se déchirer et s’embrouiller sur le devenir et l’évolution du groupe. Ils se séparent et se reforment régulièrement. Dernièrement je sais qu’ils ont enregistré un album complet en studio, mais que dans les phases de mixage ils se sont encore embrouillés, ce qui a conduit à une énième séparation. Il faut attendre un petit peu et ils reviendront probablement avec cet album sous le bras. C’est vraiment con, parce que je les adore tous individuellement, c’est des amis proches et on a vécu de super moments ensemble. Ils ont vraiment un super potentiel avec leur musique, mais ils ont également beaucoup de mal à trouver un équilibre dans leur gestion du groupe pour le faire avancer sereinement. Seb, le chanteur, vient de sortir un très bon album avec son autre formation The Astral Brothers Limited.

10/ Bon allez, c’est la pause là. Question déconnade du coup : depuis toutes ces années passées à faire de la musique, quelle a été ton plus grand éclat de rire ?

Eh bien les concerts avec Dorcel justement étaient toujours des grands moments de fous rires. Il y en a eu tellement. Je me souviens que lorsque nous avions joué à Mannheim en Allemagne, la soirée après le concert était vraiment partie en vrille et nous avions dormi sur place dans un grand squat avec plein de gens très bizarres. Durant la nuit, Seb, le chanteur du groupe, qui avait encore les cheveux longs à cette époque, à été pris pour une fille par un Allemand très imbibé. De nuit, de dos et dans son sac de couchage, l’erreur était compréhensible. Cet allemand « romantique » essayait vainement de draguer Seb, qui lui-même avait d’abord cru qu’il s’agissait d’une groupie qui l’avait harcelé toute la soirée. Cyril, le guitariste, et moi n’en pouvions plus et nous rigolions tout ce que nous pouvions, bien à l’écart de la scène. La chute a été très dôle quand les deux se sont rendus compte de leurs méprises respectives.

11/ Revenons à ton cas personnel maintenant. Non content d’être musicien, je crois que tu travailles dans la BD. Comment ta passion musicale est-elle vécue par ton entourage ? A quoi ressemble ta vie en dehors des salles de répète et studios d’enregistrement ?

Effectivement j’ai travaillé plus de dix années dans l’industrie du dessin animé et ça va faire presque vingt ans que je bosse dans la BD comme coloriste chez des maisons d’éditions comme Casterman, Petit à Petit, Faton, Spootnik, etc. J’ai d’ailleurs trois albums qui vont sortir cette année. Un sur le conquistador Cortés, un sur la bataille de Dunkerque et un qui me tient particulièrement à cœur sur un groupe cold wave / pop, qui m’a donné envie de faire de la musique. Je ne le nommerai pas, mais deux de leurs albums sont dans mon top 10 (rires).

La musique à toujours fait partie de ma vie. J’ai monté mon premier groupe en classe de cinquième avec des copains et je n’ai jamais arrêté, même s’il y a eu des moments un peu moins productifs. Alors mon entourage m’a toujours connu comme musicien et ils savent que la musique est un élément essentiel à mon existence. Cela prend beaucoup de place mais pas au détriment de mes relations personnelles avec ma famille et mes amis.

Et pour ma vie de tous les jours, j’alterne entre mon travail de coloriste, ma vie de famille et la musique. Ça se fait naturellement. Sans être casanier, j’ai une vie plutôt structurée sans grosses folies inattendues. Nous voyageons également beaucoup avec ma copine, ce qui m’ouvre aussi à de nouvelles rencontres et découvertes qui alimentent également mes passions artistiques.

12/ Il y a quelque temps de cela, tu as décidé de mettre par écrit ton histoire en tant que musicien en rédigeant une fort belle autobiographie. Un fort beau volume de plus de 450 pages (tout de même). Qu’est-ce qui t’a poussé à entreprendre ce travail de titan ?

À la suite de la crise Covid en 2022, je me suis plus ou moins retrouvé sans groupe. Les autres membres de Logical Tears n’avaient plus du tout envie de faire avancer la formation et ils me l’ont bien fait comprendre. J’ai donc été forcé de mettre un terme à mes activités musicales avec eux. Mais étant un infatigable créatif, je me suis vite retrouvé en manque et je me suis donc demandé quel type de projet je pourrais réaliser seul sans devoir dépendre d’autrui. 2022 étant aussi l’année de mes 50 ans, j’ai finalement eu l’idée de réaliser ce livre, à la fois comme un défi personnel, mais aussi comme un moyen de faire le bilan de ce que j’avais déjà accompli musicalement. Donc après pas mal de doutes, de réflexions mais aussi d’encouragements et de conseils de la part de mon ami Cyril Durr, qui est écrivain, je me suis lancé. Cyril m’a réellement donné la force d’arriver au bout de cette démarche et de ce premier livre par nos échanges nombreux et constructifs. C’est un super auteur, je vous conseille d’ailleurs ces deux premiers romans « Le sang des Héros » et « L’ombre de Doreckam »si vous aimez le fantastique et l’épouvante. J’ai mis plus de temps à finaliser la maquette du livre qu’à l’écrire, mais le résultat final me plaît bien pour une première et toute relative expérience dans le monde littéraire. Il est donc sorti fin novembre 2024. C’est une grande première pour moi, étant dyslexique, mon rapport à l’écriture a toujours été un peu compliqué. Mais ça donne une belle réponse créative à ma crise de la cinquantaine, je trouve (rires).

Pour le moment tous les gens qui l’ont lu (ils ne sont pas légion, rires…) m’ont donné des retours positifs. Vincent Fallacara, le leader du groupe Lüderitz, m’a dit : « C'est très juste, sincère et intéressant car ça éclaire tellement bien ce qu'est la dure réalité d'un musicien non professionnel, mais qui place la création au centre de sa vie. » Ça m’a touché parce que c’est ce que je voulais retranscrire dans le livre. C’est aussi et avant tout un recueil d’anecdotes de musicien, souvent très drôles, qui retracent un parcours de vie. Je ne sais pas si j’écrirai un autre livre, j’ai tellement de projets en cours et d’autres que j’aimerais démarrer, mais je suis content de l’avoir fait. C’est une expérience artistique de plus à mon actif.

13/ En lisant ton livre, j’ai appris, entre autres, que tu avais un frère jumeau, Fabien, lui aussi membre de Noctule Sorix qui est malheureusement parti trop tôt le 9 mars 2000. Je pense que tout le lectorat du zine t’adresse avec moi ses plus sincères condoléances. A quel point le décès de Fabien a-t-il été impactant dans ta vie ?

Nous étions effectivement de vrais jumeaux avec tout ce que ça peut impliquer de complicité mais aussi de rivalité. Nous étions très fusionnels et nous avons créé et vécu énormément de choses ensemble. J’ai fondé Noctule Sorix avec lui. Alors son décès a été très dur à encaisser. C’est toute ma jeunesse et mes espoirs qui sont partis avec lui d’un seul coup. J’ai mis plus de dix années à m’en remettre, même si je ne sais pas si tu peux vraiment guérir totalement d’une telle perte… Noctule Sorix a été un vecteur de thérapie et de guérison pour moi. J’ai mis beaucoup de choses personnelles dans certaines chansons du groupe, qui m’ont permises de faire le deuil de Fabien et accepter pas mal de choses que je ne pouvais plus changer. C’est pour ça que ce groupe reste très important pour moi et que même s’il n’est plus actif aujourd’hui, il n’est pas totalement mort pour autant…

14/ Autre départ récent et fort triste : celui de Jérôme AD, notamment connu pour le projet Drama Of The Spheres. J’ai compris en lisant ton livre que vous étiez amis depuis le lycée et que vous avez même fait de la musique ensemble. Peux-tu nous décrire un peu votre relation ?

Avec Jérôme AD nous avons fréquenté le même lycée au début des années 90, mais c’est seulement quelques années plus tard, aux Beaux-Arts à Metz, que nous avons sympathisé et commencé à faire de la musique ensemble. Il a été le guitariste du premier album de Noctule Sorix, que nous avons composé ensemble, et il a participé à l’écriture de certains morceaux sur le deuxième album. Il a vraiment été une influence majeure pour moi, dans l’évolution de mes goûts musicaux et la façon de composer un morceau. Il m’a également fait découvrir des groupes comme Les Tétines Noires ou Virgin Prunes qui étaient bien plus undergroud que ceux que j’écoutaient à l’époque. C’était un réel artiste avec tout ce qu’il peut y avoir de génie et de folie. Il avait un univers bien à lui et il a composé des putains de bons albums. Nos relations n’ont pas toujours été au mieux, nous avons eu quelques différends artistiques, notamment après la sortie du deuxième album de Noctule sorix, mais nous sommes toujours restés en contact. Nos deux formations, Drama of the Spheres et Noctule Sorix, ont évolué sur des chemins différents mais je crois que nous avons toujours eu l’un pour l’autre un profond respect et une admiration mutuelle. Nous nous sommes retrouvés plusieurs fois sur des projets communs tout au long de nos parcours artistiques. L’annonce de sa disparition a été un véritable choc. Nous nous étions encore parlé une semaine avant son décès et envisagions même de retravailler ensemble sur l’un de ses projets plus en rapport avec le monde de l’édition. Sa disparition m’a fait de la peine et sa musique et lui vont vraiment me manquer…

15/ Manu, quel est ton regard sur la scène gothique actuelle ? Est-ce différent par rapport à tes débuts dans cette culture spécifique ? Selon toi : qu’est-ce qui déconne aujourd’hui ? A contrario, qu’est-ce que l’ère moderne a apporté d’intéressant dans ces scènes qui nous passionnent tant ?

Je dois t’avouer que j’ai décroché de la scène gothique depuis longtemps. Mes goûts ont évolué vers d’autres formes de musique comme le punk « à roulettes » (pour les skateboards ^^) californien ou la musique undergroud anglo-saxonne avec des groupes du genre de Coach Party. Mais j’y reviens de temps en temps avec des découvertes sur des webzines comme celui-ci ou des labels comme ICy Cold Records et certains groupes que j’adore comme, Darkswoon, Ash Code, Je T’Aime ou les regrettés Soft Moon.

La principale différence selon moi, c’est qu’aujourd’hui avec Internet tu peux plus facilement découvrir de nouvelles formations et surtout que tu as plus facilement accès à leurs albums, grâce aux plateformes de streaming. Et ça c’est génial ! Dans les années 90 et après 2000, tu galerais déjà à trouver les fanzines papier dans le style qui t’intéressait, et si un groupe te semblait super intéressant à la lecture d’une chronique ou d’une interview, bah il fallait t’armer de beaucoup de courage et de persévérance pour enfin trouver leur album. Aujourd’hui je trouve qu’il y a de plus en plus de groupes semi professionnels ou amateurs qui produisent eux-mêmes d’excellents albums, il n’y a qu’à lire les chroniques sur ton webzine pour s’en rendre compte. C’est peut-être du fait de la démocratisation des moyens d’enregistrement et du fait que tout devient immatériel. Même les groupes mainstream se mettent à sortir des albums sans support physique. Alors pour les vieux cons comme moi qui sont encore attachés aux objets et à l’aspect collection, c’est parfois frustrant, mais quel progrès par rapport à l’époque ou j’ai commencé à écouter de la musique en casettes sur mon walkman ! Avec le retour du vinyle il y a aussi un regain de sorties je trouve, même si ça reste cher comme support, de mon point de vue.

La seule chose qui pourrait me gêner aujourd’hui dans le milieu dit « gothique », c’est que les gens ne se déplacent plus trop aux concerts des petites formations. Ils sont habitués à consommer de la musique directement chez eux mais ne font plus trop l’effort d’aller découvrir de nouveaux groupes en live. Nous avons joué récemment dans les Vosges avec Logical Tears 2.0 et les très sympathiques et excellents Elecktic Press Kit, et lors des concerts nous nous sommes retrouvés à jouer devant trois à quatre personnes. Le reste du public préférant boire des coups à l’extérieur. Mais dès que le DJ a investi la salle après les concerts et qu’il a passé des classiques comme Enjoy The Silence ou Boys Don’t Cry, il y avait plus de soixante personnes de retour dans la salle. Essentiellement des jeunes hyper lookés, les quatre vieux goths composant l’ensemble de notre public avaient désertés le dancefloor en même temps que nous (rires…). C’est dommage et je ne pense vraiment pas que ça soit la qualité des shows ou les performances des groupes qui soient à remettre en cause. Je me suis juste fait la réflexion que les nouvelles générations qui se revendiquent « gothiques » semblent moins curieuses que nous quand nous avions le même âge. Le côté live de la musique semble ne plus les intéresser…

16/ Justement, question un peu tardive par rapport à d’habitude : tu es originaire de Metz. Comment se porte les scènes Post-Punk/Goth par chez vous ? Y a-t-il des concerts de temps en temps ? Avez-vous des lieux de retrouvailles privilégiés comme des bars, des places particulières ou des caveaux ?

Pas vraiment. Il n’y a plus réellement de lieux emblématiques estampillés « goth » comme il a pu y en avoir dans le passé à Metz où sur les alentours. Les lieux où il est possible de jouer dans de bonnes conditions sont devenus de plus en plus rares. Nous devons souvent nous contenter de démarcher les bars ou des toutes petites structures qui n’ont pas forcément de matériel de sonorisation. Tout se fait à l’arrache avec le matériel des groupes. À Metz même, il y a le bar associatif La Chaouée qui est très actif. Ils font jouer énormément de formations dans tous les styles. Mais pas certain qu’ils puissent perdurer dans le temps, j’ai vu récemment qu’ils rencontraient quelques difficultés. À Nancy qui n’est qu’à 45 min de Metz, il y a l’association Ante Mortem qui fait jouer régulièrement des formations Goth et Post Punk. À Thionville qui n’est qu’à 30 min de Metz, il y a aussi quelques bars qui font jouer des formations rock et il y a pas mal de groupes punks dans ce coin-là. Donc oui, des concerts il y en a quand même pas mal sur la région, pas forcément post punk ou goth mais ça bouge quand même bien. Et les bars refont jouer des groupes live plus régulièrement à Metz, ce qui n’était plus trop le cas il y a encore quelques années par choix de la municipalité. Ça a redonné une visibilité à de petites formations qui n’ont pas toujours accès à des salles plus grandes. La scène alternative messine (pas forcément très orientée goth) ne se porte pas si mal finalement. Mais la chance que nous avons réellement c’est que Metz n’est qu’à une heure de l’Allemagne avec Sarrebruck, une heure de la Belgique avec Arlon et une heure du Luxembourg. Donc nous sommes pas mal servis côté possibilités de concerts. L’entrepôt à Arlon, par exemple, fait souvent passer des groupes comme The Mission, Front 242, Les Tétines Noires, IAMX, Peter Hook, etc. Donc les formations plus petites comme nous peuvent parfois intégrer les premières parties. C’est plutôt cool… Mon kiff ça serait vraiment de faire la première partie de Peter Hook ! Mais il fait sa première partie lui-même maintenant, alors c’est mort (rires…).

17/ Bon allez, je sais que tu l’attends celle là alors tu as intérêt à nous donner un maximum de détail. Quels sont tes plats préférés ? Quelles sont tes boissons de prédilection ? As-tu une recette à partager avec nous ?

Aaaaaaaah ! Je profite de cette question, qui est effectivement celle qui m’intéresse le plus lorsque je lis des interviews sur Jeu d’Ombre, pour démentir cette affreuse et très mensongère rumeur (largement colporté par ma copine d’ailleurs) comme quoi je n’aimerais pas les légumes !!! C’est totalement faux ! Mais en bon lorrain, que je suis, je dois bien avouer que j’ai une préférence très marquée pour la patate, le fromage et la viande ! Si tu veux vraiment me faire plaisir, et ça ne plaira certainement pas à nos amis végans, un bon tartare de bœuf bien saignant avec des patates rôties, des petits oignons et une salade verte, histoire de mettre un peu de couleur et faire plaisir à ma copine, me combleraient très largement. Sans oublier le petit munster qui va bien avant le dessert… Je ne sais pas si j’ai réellement un plat préféré, mais c’est clair que j’aime bien manger. Avec ma copine, comme je l’ai déjà dit, nous voyageons souvent et nous pratiquons régulièrement des restaurants locaux. Ce n’est pas l’idéal pour ensuite rentrer dans mon costume de scène, je l’avoue, mais franchement qu’est-ce que ça fait du bien au moral quand tu t’es fait un super resto ou une bonne bouffe avec des amis. Seb le chanteur des Dorcel n’est d’ailleurs pas le dernier à se manifester dès qu’on parle resto ! La cuisine japonaise est très bien placée dans notre top 10, avec ma copine, mais nous sommes ouverts à pas mal de plats et spécialités en tous genres. Personnellement je ne cuisine pas trop, on ne peut pas être doué en tout, mais je suis admiratif des gens qui savent cuisiner. Coté boisson, là je vais vraiment te décevoir car je ne suis pas trop vin ou bière. Je sais que c’est horrible de dire ça là, comme ça, mais un petit coca light bien frais ça me va très bien…

17 et ¼ / Quelle a été ta plus grosse cuite d’anthologie ? On veut du dossier haha !

Comme je viens de le dire, je ne suis pas super porté sur l’alcool. Lorsque nous tournions beaucoup avec les Dorcel, eux ne se gênaient pas pour arroser les fins de concerts (parfois même avant les concerts) à grands renforts de bières ou de vin. Moi je me contentais de boire du coca light, ce qui était un peu devenu mon surnom dans le groupe, « Mr Coca Light ». Mais lors d’un de nos déplacements en Allemagne, une nana m’a fait boire du coca dans lequel elle avait dû mélanger quelque chose de moins anodin, dix minutes après avoir bu son Coca frelaté, je me suis retrouvé complètement défoncé avant de monter sur scène. Je ne me rappelle plus du tout du concert, j’étais complétement parti en vrille et soi-disant qu’après le concert, j’ai picolé comme un trou en faisant tous les fonds de verre. Je plaide non coupable, je n’en garde aucun souvenir mis à part peut-être la migraine que je me suis trimbalé les deux jours suivants (rires…).

18/ Dis-nous s’il te plaît : quels sont tes projets à venir ? Je sais que tu es très pris en ce moment mais as-tu déjà des idées pour tes projets actifs, voire des pistes pour démarrer une nouvelle aventure musicale ?

Eh bien, avec O. Scar nous continuons de composer de nouveaux morceaux et démarchons activement pour trouver des concerts avec Logical Tears 2.0. Il est prévu que nous enregistrions également notre premier album cette année. Nous avons suffisamment de bons morceaux pour faire un album 12 titres qui tienne bien la route. J’aimerais vraiment rebosser avec Yann Kerambrun des Drama of the Spheres avec qui j’avais enregistré l’EP Black Hole. Il a une super approche de producteur et le résultat était vraiment bon sur cet EP. Rebosser avec lui serait gage d’un album vraiment réussi.

Avec Dieter. G de Noctule Sorix, nous bossons sur des compositions à distance et un éventuel nouvel EP du groupe, mais ça reste conditionné aux disponibilités et à l’envie de nous rejoindre de Zok.

Et nous envisageons aussi, avec O. Scar et Dieter. G, de bosser sérieusement sur un set live acoustique avec des morceaux de Logical Tears, Noctule Sorix et quelques reprises pour faire un ou plusieurs concerts unplugged cet été. J’aimerais aussi que mon ami Léo Güen, qui a fondé le projet The Electric Chaman, nous accompagne aux percussions. Ça serait génial, il est super doué. Mais je ne lui en ai pas encore parlé… Léo si tu nous lis^^…

Bref j’ai plein de projets musicaux en plus de mon travail en BD. Je ne vais pas avoir le temps de m’ennuyer cette année 2025.

19/ Cher ami, nous nous approchons malheureusement de la fin de cet échange (déjà !). Ce fut un plaisir de te donner la parole et je recommande vivement aux francophones de lire ton livre !

Souhaites-tu ajouter quelque chose avant que nous nous en retournions dans nos cavernes respectives ?

Peut-être dire aux gens de rester curieux et à la recherche des petites formations qui ne vivent pas de leur musique, mais qui la produisent avec passion. Même si je sais bien que les lecteurs de ce webzine n’ont pas besoin de se conseil.

20/ Merci beaucoup pour le temps que tu as consacré à répondre à cette interview. Je te souhaite le meilleur pour tes futurs projets musicaux.

A très bientôt j’espère 😊

C’est moi qui te remercie pour ton invitation, pour cette interview et pour ton activisme dans le milieu post/ punk, goth. C’est impressionnant aussi tout ce que tu gères en même temps, tes groupes, les tournées, ce webzine, etc. Bravo à toi ! J’attends d’ailleurs toujours avec impatience le volume 2 des « Chronicles Of The Dark » de Night Train To Nowhere. J’avais bien accroché sur le premier volume !

Logical Tears - Spotify

Logical Tears - Bandcamp

Noctule Sorix - Spotify